Qu’est-ce qui vous a amené à vous orienter vers le monde des médias et de la communication ? Pourriez-vous nous décrire un peu plus précisément votre parcours professionnel ?

C’est ma formation de journaliste qui m’a conduit à faire de la communication. Les deux mondes ne sont pas éloignés l’un de l’autre. J’ai fait des études de journalisme en Algérie puis j’ai intégré un quotidien national d’information en français qui s’appelle El Watan.
J’ai travaillé dans ce journal durant 5 ans comme reporter et spécialiste des groupes islamiques. Je faisais aussi des reportages à l’étranger. En 1995, j’ai quitté l’Algérie pour venir en France où j’ai continué mes études (DEA en Sciences politiques et DESS en communication publique à la Sorbonne) tout en suivant une formation au Centre de perfectionnement des journalistes (CFPJ).
Au départ, j’ai collaboré avec de nombreux quotidiens français, comme 5 Nouvel Obs, Sud Ouest, La Charente Libre, Télérama. Par la suite, je suis parti m’installer à Abu-Dhabi en tant que directeur de la communication de MSF dans le monde Arabe. C’était de fin 2002 à 2006. Après mon retour en France, j’ai intégré France24, je fais partie des gens qui ont créé cette chaine de télévision internationale. Je suis toujours à France 24 même si j’ai pris 8 mois de congés sabbatique pour revenir travailler avec MSF Suisse comme Field Communication Manager.

Quelles missions vous incombent en tant que porte-parole de MSF ? Comment conciliez-vous ces missions avec votre activité de journaliste?

Mes missions à MSF sont d’apporter de l’aide à nos équipes de communication qui sont sur le terrain. Construire ensemble les messages de “Com”, mettre en place une stratégie de “Com” sur le terrain, créer les outils pour communiquer, documenter nos missions médicales, écrire sur ce que fait MSF sur le terrain et surtout faire de « l’Advocacy » en vue de faire connaitre davantage MSF dans les pays ou elle travaille et assurer les conditions de sécurité à notre personnel médical sur place. En travaillant avec MSF, j’ai quitté pour un temps mon métier de journaliste. Avec MSF, je m’occupe exclusivement de la “Com” et non pas du journalisme vers lequel je reviendrai bientôt.

La communication dans toute ONG et organisation humanitaire est d’une importance primordiale, et encore plus pour celles dont le mandat de plaidoyer est très développé.
Dans une organisation humanitaire comme Médecins Sans Frontières, et d’après votre propre expérience quelles sont les ambitions et les buts du pôle de la communication ?

Les objectifs de la COM à MSF est de faire connaitre davantage notre ONG, d’expliquer aux populations ce que nous faisons sur le plan humanitaire et médicale, expliquer les difficultés qu’on y trouve parfois pour travailler correctement et par la même améliorer l’image et la visibilité de MSF dans les contextes où l’on travaille. Aussi, le but de la COM est de susciter des dons et de convaincre des donateurs de nous aider financièrement afin que nous puissions monter des opérations d’aide. La Communication est vitale pour MSF car elle a besoin de raconter aux gens ce que les équipes font sur le terrain d’une part et convaincre les donateurs de donne plus d’argent, d’autre part. MSF est une ONG privée donc elle ne compte que sur les dons des gens privés et pas sur les états et les gouvernements.

Comment décrieriez-vous les logiques de la communication MSF ? L’organisation a-t-elle une façon spécifique de communiquer ? 

MSF communique en fonction de ce qu’elle voit sur le terrain. MSF ne parle que de ce qu’elle fait ou de ce qu’elle voit de ses propres yeux. Nous avons besoin d’être des témoins directs des choses qui se passent sur le terrain. Sinon on ne communique pas. Nous cherchons toujuors à éviter des fausses informations ou faux jugement. C’est pour cela que seuls les communicants de MSF sont habilités à le faire. Il faut ajouter à cela le système de validation de toute information avant qu’elle ne devienne publique. A MSF, tout ce qu’on dit et écrit doit refléter une réalité du terrain. C’est très important pour nous que MSF soit crédible et juste dans ses jugements.

Y a-t-il une logique de communication spécifique en cas de crise ou de situation d’urgence ? Y a-t-il des outils de communication ou des directives particulières ?

La communication de crise est importante chez MSF. C’est une organisation spécifique qui est basée sur des gens qui ont une expérience de MSF et de communicants. Lorsque MSF est confronté à une crise grave, on met en place un comité qui doit suivre cette crise minute par minute. Il peut comporter le directeur des opérations, le chef du DESK ou de la région où la crise a lieu, un responsable médicale, des personnes sur le terrain et un responsable de COM. Rien ne doit sortir sans la validation du chef de DESK ou du médecin. Tous les mots sont pesés et placés dans leur contexte. La COM de crise prend toute sa dimension et importance lorsqu’il s’agit notamment de sauvegarder la vie d’un staff international ou local. Donc il y a toute une hiérarchie à respecter avant toute communication. En réalité, en COM de crise, le but est justement de ne pas trop communiquer ni de donner plus de détails.

La médiatisation d’une activité humanitaire n’a pas que des côtés positifs : on reproche notamment à beaucoup de campagnes d’ONG de tomber trop dans le pathos ou de trop faire appel au registre affectif. Qu’en pensez-vous ?

Certaines ONG font dans l’affectif, d’autres non. A MSF, ce qui compte, ce sont les faits sur le terrain, c’est à dire nos programmes médicaux et humanitaires. On n’aime pas trop jouer sur l’affectif pour récolter des fonds ou attirer les regards médiatiques. Nous on parle que de ce qu’on fait et surtout en prenant en considération la sécurité de nos staffs sur le terrain. C’est notre principal souci qui va même au-delà de la récolte des fonds. Maintenant, il pourrait y avoir d’autres ONG qui jouent sur l’affectif pour sensibiliser les donateurs ou les médias, nous par contre on est des lanceurs d’alerte, dire par exemple: “Attention, dans tel ou tel pays, la population risque d’être confrontée à la famine“. On alerte pour que les Etats et la communauté internationale prennent leurs responsabilités.

Avez-vous déjà refusé de divulguer certaines informations, que la décision vienne de vous ou de MSF, pour des questions de confidentialité, de sécurité ou autres ?

Oui bien sur, lorsqu’il s’agit de la sécurité de nos staffs sur le terrain, on ne divulgue pas trop d’informations. Nous préférons travailler dans l’ombre et le calme pour être efficace. Par contre lorsqu’il s’agit de parler de nos programmes, on essaye de donner une vision globale de ce qu’on fait. Je le répète, mais la COM sert à donner plus de visibilité à MSF et à sensibiliser les autres. Par contre lorsque nous sommes confrontés à un incident sécuritaire, la COM prend une toute autre nature. Elle est contrôlée volontairement car le seul but est de régler l’incident de sécurité.

Le fait d’être journaliste a-t-il impacté ou influencé votre regard sur la communication au sein d’une ONG et votre rôle de porte-parole ? De même, votre poste au sein de MSF a-t-il changé votre vision du journalisme ?

Il est toujours intéressant d’avoir une double casquette. Journaliste et homme de communication. Car cela veut dire qu’on sait comment les deux mondes fonctionnement.  Mon métier de journaliste m’aide à comprendre les besoins et les attentes des journalistes. Et mon métier de COM m’apprend aussi mettre en place une stratégie de COM qui peut intéresser les médias. Ce sont deux mondes qui se complètent. Il est rare de trouver des profils de ce type car c’est un atout considérable pour les organisations que d’avoir dans leurs rangs des gens qui connaissent à la fois la logique médiatique et les impératifs de la communication.

 

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